GOERG ET MAUREL, les enfants du PROFESSEUR CYCLOPE

 
Deux interviews en un. Deux récits, Le Sourire de Rose et Iba, qui ont le point commun d’avoir été publié dans les pages numériques du périodique Professeur Cyclope avant de se retrouver en version papier aux éditions Casterman dans une collection éponyme. Deux auteurs, Sacha Goerg et Pierre Maurel, exilés à Bruxelles, qui bossent ensemble dans le même atelier.

Le Sourire de Rose, Sacha Goerg – Casterman coll. Professeur Cyclope
Desmond, un gentil raté qui dispute à son ex-femme la garde de leur fils Théo, rencontre la jolie Rose. La jeune femme dissimule un secret : cleptomane, elle a dérobé à François, un vieux beau fortuné, un objet auquel il tient particulièrement. Tandis que Desmond s’abandonne peu à peu à l’attirance qu’il ressent pour Rose, les problèmes de celle-ci vont prendre une tournure pressante : flanqué de son garde du corps, François les prend en chasse, déterminé à récupérer son précieux objet à n’importe quel prix.
Né en 1975 à Genève, Sacha Goerg est l’un des fondateurs de la maison d’édition indépendante l’employé du Moi, où il a fait paraître trois albums.
Tout au long du Sourire de Rose, il interprète avec élégance et subtilité une intrigue ponctuée de faux-semblants. D’abord récit de moeurs intimiste, l’histoire se mue insidieusement en un polar menaçant dont les principaux personnages s’ingénient à ne jamais être tout à fait là où on les attend…
Magnifiquement aquarellé, son dessin instinctif et efficace sait à merveille installer clairs-obscurs et ambiances en demi-teinte, s’offrir ici et là quelques échappées de pur bonheur graphique, sans pour autant perdre de vue la logique des personnages et les nécessités de la narration.

IBA, Pierre Maurel – Casterman coll. Professeur Cyclope
Malgré le soutien de ses vieilles amies, Élise peine à se remettre d’un récent chagrin d’amour. Faible, vulnérable et à fleur de peau, elle est assaillie par ce qui ressemble à des visions. Leur personnage central est une étrange jeune femme aux yeux vides qu’Élise seule paraît capable de voir. Ce spectre un peu effrayant n’est pourtant pas une inconnue : Iba, ainsi que la nomme Élise, est depuis toujours sa compagne silencieuse mais ô combien présente, jouant auprès d’elle le rôle de l’ami(e) imaginaire que s’inventent de nombreux enfants.
Quel rôle joue exactement Iba ? Protectrice ? Gardienne ? Simple résurgence d’une enfance enfouie ? Compagne dévorante dont Élise ne sait plus comment contenir les appétits et les sanglantes exigences ?
Né en 1977 à Narbonne, Pierre Maurel évolue dans l’univers de la bande dessinée indépendante (l’employé du Moi, Ferraille, Ego Comme X, 6 pieds sous terre, etc.) depuis une dizaine d’années.
Entre chronique du quotidien et récit d’épouvante, Pierre Maurel tient avec subtilité la chronique d’une emprise d’autant plus glaçante qu’elle s’ancre dans les apparences d’une normalité. Élise évolue dans un quotidien réaliste et contemporain qui, par contraste, donne à la présence d’Iba une puissance singulière. Le trait énergique et les plans serrés de l’auteur, au plus près de ses personnages, de leurs émotions et de leurs terreurs, distillent savamment angoisse et malaise.

 Le site officiel de la revue : http://www.professeurcyclope.fr/


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Pourquoi une interview ensemble ? Pierre Maurelet moi-même (Sacha Goerg) nous avons tous les deux publiés dans les pages du magazine numérique Professeur Cyclope. Support numérique qui a un moment donné s’est cherché un partenariat pour une version papier. Nous avons appris que c’était Casterman, en partenariat avec Arte multimédia. Arte est le mécène de la revue mais a aussi participé au financement des BD. Pour être clair, nous étions payé par Professeur Cyclope, c’est-à-dire Arte, Casterman a acheté les droits et Casterman et Arte publient conjointement les livres. Professeur Cyclope dans sa version papier devient un label et non une collection. D’ailleurs il n’y a que le sigle de Cyclope qui figure sur le premier plat, les deux partenaires sont sur le quatrième plat. Il n’y a pas de format particulier, il est choisi selon le récit publié…
Professeur Cyclope a ciblé un éditeur sans contrainte. C’est vrai que pas mal de choses ont bougé ces dernières années chez Casterman, du côté de l’équipe éditoriale. Beaucoup de choses sont publiées actuellement, ce qui n’aurait pas été le cas il y a quelques années…

Sacha Goerg :
Oui, pour Le Sourire de Rose, j’ai été obligé de relooker mes dessins. J’ai dû recomposer les pages, en ventilant parce que cela allait avec l’ambiance du récit. C’était un produit en numérique, turbo-média. Néanmoins il existait un pré-découpage en crayonné, car avant publication, Cyclope veut connaître l’histoire. Ils ont une certaine expérience, ce sont des auteurs qui ont un vécu éditorial. Et comme la publication est mensuelle, il faut pouvoir fournir de la matière en amont, un rythme de quinze pages. Il y a des dessins qui ont été ajoutés, d’autres enlevés, disposé autrement pour une question de rythme qui diffère entre numérique et papier. La couleur a été faite à la main, à l’aquarelle…
Je ne tenais pas spécialement à faire un polar, mais plutôt une histoire de rencontre, rencontre entre deux personnages décalés, qui ont des problèmes. Ensuite, mon récit glisse soudain dans une autre direction, de l’action. J’introduis aussi un élément bizarre, comme cette relique, un objet qui symbolise parfaitement l’amour parce qu’il s’agit de deux molaires enlacées par un fil d’or, les molaires d’Eloïse et Abélard, histoire d’amour très chaste…

Pierre Maurel :
En ce qui me concerne, je n’ai pas été obligé de recomposer ma BD parce qu’elle était en pages fixes. L’histoire est depuis le début en noir et blanc, cela me permet de plus me concentrer sur l’histoire. Je l’avais commencée dans un fanzine, avant de la proposer à Cyclope. Je ne pense pas avoir pensé à une référence fantastique particulière quand j’ai créé le récit. C’est vrai que je regarde beaucoup de films d’horreur mais je ne revendique rien du tout, on est dans un thriller psychologique. Mon idée était de faire un truc où au début le lecteur ne pouvait déterminer si ce fantôme existait juste dans l’imagination du personnage ou si c’était quelqu’un de vivant, je voulais qu’on découvre au fil des pages que le fantôme avait des effets dans la vie réelle, qu’il existait réellement…

On travaille dans le même atelier, à une dizaine d’auteurs, c’est mieux que de se retrouver seul à l’ouvrage, nous sommes à une dizaine d’auteurs, c’est assez monacal. On est chacun dans son coin, mais il nous arrive de nous consulter, quand on sent que quelque chose coince dans le récit… Quand on veut faire une bonne histoire, on tombe dans des canevas classiques, mais nous ne sommes pas dans les trucs formels nous racontons l’histoire que nous voulons, sans pression éditoriale. L’histoire passe plus par les personnages. Dans la BD traditionnelle les personnages sont définis, nous on est dans une construction telle qu’à la fin les personnages sont transformés par l’expérience qu’ils ont vécu au fil du récit.
 
 
 

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