La guerre selon Yslaire

La guerre selon Yslaire
extrait du site dhnet.be du 04 mai 07

L'auteur de Sambre clôt son magnifique diptyque où l'amour prend magnifiquement le dessus sur la haine et la guerre (...)

Quand la guerre en Irak a éclaté, Bernar Yslaire, l'emblématique auteur de Sambre , a vécu un véritable choc. Il ne pouvait pas rester sans rien faire, les bras ballants. C'est armé de ses crayons qu'il est véritablement entré en campagne avec Le ciel au-dessus de Bruxelles. À l'esprit, il avait l'image inoubliable du bed-in de John Lennon et Yoko Ono qui faisaient l'amour devant les caméras du monde entier dans une chambre du Hilton d'Amsterdam pour protester contre la guerre au Vietnam.

"J'aime le combat de cet homme pour une idée du monde. Celui d'un homme qui aime une femme pour manifester pour la paix. Même si j'ai vieilli, je n'arrive pas à trouver cela dépassé. Et Imagine reste pour moi une des plus belles chansons du XXe siècle", indique Yslaire qui met en scène deux personnages que tout oppose. Jules est juif khazar et Fadya est beur islamiste. Dans le premier volume du Ciel au-dessus de Bruxelles, Yslaire met en scène la rencontre de cette candidate à l'attentat suicide au sein d'une manifestation pacifiste en plein Bruxelles et de celui qui se révèle finalement être son ange gardien. Une rencontre qui se termine dans la chambre 2525 du Hilton Bruxelles. Une chambre qui offre une vue imprenable sur le ciel de la capitale.

La rencontre est explosive et débouche sur une étreinte passionnée alors que simultanément la télévision diffuse sa litanie d'images formatées mettant en scène la prochaine invasion américaine en Irak. La passion semble arrêter le temps et c'est au lendemain de cette étreinte que l'on retrouve, dans ce second opus, Fadya.

La jeune femme est perdue. Elle ne sait plus où elle en est. Elle a raté l'heure et l'endroit de son attentat. Le détonateur de sa ceinture d'explosifs ne s'est pas actionné. Elle se retrouve seule avec ses doutes. Seul Jules, son amant juif aussi froid que mystérieux, peut encore l'aider.

Alors que la RTBF, Al Jazzera et les télévisions du monde entier diffusent toutes les mêmes images, elle s'abandonne totalement. Yslaire laisse libre court à son talent pour illustrer la frénésie passionnée de ce couple. Les scènes d'amour sont crues, non feintes et assurément à ne pas mettre dans des mains non averties mais leur esthétisme remarquable et le message qu'elles véhiculent fait largement oublier le côté obscène et provocant qui aurait pu valoir à Yslaire de se retrouver classé X. La réponse de l'auteur à cette critique qui lui a forcément été faite est simple : "Au risque de répéter ce que j'ai tenté de développer dans cet album, la guerre n'est-elle pas plus obscène ? Tuer son prochain est-il plus moral que d'assurer la survie de son espèce ?" . La réponse est évidemment un non catégorique.

Yslaire parvient à secouer les consciences. Grâce à son trait et ses couleurs caractéristiques mais aussi grâce à un découpage habile qui alterne les scènes de fiction et les images, bien réelles elles, d'actualité, on ne peut pas sortir indemne de cette lecture.

Choisir l'amour pour éviter la guerre est un thème aussi intemporel qu'universel et cela n'est pas près de changer. Yslaire prend assurément un risque en abordant le thème de kamikazes de cette manière mais il assume tout à fait. Il ne va pas devenir le Salman Rushdie de la bande dessinée. "Si je choque certains, alors je fais appel à leur tolérance culturelle", conclut Bernar Yslaire qui a utilisé sa peur de la guerre et des terroristes pour livrer ce qui n'est finalement rien d'autre qu'un formidable conte moral moderne.


Yslaire : Le ciel au-dessus de Bruxelles, t. 2, Après, Éd. Futuropolis.


Michaël Kaibeck

© La Dernière Heure 2007

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