Têtes brûlées et chemises noires

Têtes brûlées et chemises noires
extrait du site soir.be du 11 mai 07

David B. file un coup de poing graphique à l'histoire du XXe siècle (...)

Le ciel était gris de nuages. Il y volait des oies sauvages qui criaient la mort au passage. » Ces vers de Louis Aragon, lourds d'apocalypse, ont le goût de l'irrémédiable, inscrit dans les injustices du traité de Versailles.
A la fin de la Première Guerre mondiale, les vainqueurs n'ont pas su dessiner la carte de la paix. Ils ont, par exemple, rattaché les Italiens de Fiume à la Yougoslavie. Refusant cette perspective, une poignée de corps francs transformera la ville en république indépendante, sous le commandement du dadaïste Gabriele D'Annunzio. Une effervescence qui profitera in fine aux fascistes de Mussolini...
David B. explore cette Europe trouble de l'entre-deux-guerres dans sa nouvelle série « Par les chemins noirs ».
Gangsters, occultistes, espions, artistes réécrivent ces pages d'histoire oubliées avec un trait joyeux, désabusé, cultivé, qui rappelle le génie d'Hugo Pratt. Les Prologues est le premier tome de cette tragédie noire politique, sociale et poétique.

Une vraie série historique, pleine d'action, signée David B. ! C'est un événement pour un fondateur de la nouvelle bande dessinée française, qui a donné ses lettres de noblesse à l'autobiographie...

L'idée s'est imposée toute seule dans ma tête. J'ai eu envie d'évoquer les années 1920, les germes du fascisme... C'est une période pleine de possibilités scénaristiques. Mais, attention, je ne vais pas faire une série classique avec des épisodes en 46 pages couleur.

Vous avez pris plaisir à dessiner ces scènes de bagarres entre militaires et trafiquants ?

Fiume était revendiquée par l'Italie mais le port fut donné à la Yougoslavie. Quand les hommes de D'Annunzio s'en sont emparés, ils ont été encerclés par l'armée italienne... mais personne n'avait envie de se tirer dessus ! On s'est contenté de faire des discours à distance, et des défilés. Fiume est devenu un repaire d'aventuriers, de trafiquants d'alcool et de drogue, de bagarreurs de saloon. Chacun voulait prouver sa virilité. Ces bagarres ne sont pas gratuites. C'est une manière pour moi de représenter le chaos mental des soldats plongés dans une situation où l'on souffre pour rien...

A côté des bagarreurs, il y avait aussi des artistes, dont certains futuristes italiens, que l'on retrouvera plus tard dans les rangs des fascistes de Mussolini...

Les futuristes étaient fascinés par la vitesse, la machine, le progrès technique, dans lesquels ils voyaient l'avenir de l'art. D'Annunzio les a fréquentés, sans en faire partie. C'était un franc-maçon, un anarchiste, un dadaïste... un homme curieux de tout, mais pas un fasciste. Il a été en contact avec Mussolini, mais il pensait qu'on « ne peut rien construire avec de la merde ». Après la fin de l'Etat libre de Fiume, il a vécu dans un exil doré sur la côte Adriatique.

Corto Maltese avait croisé Gabriele D'Annunzio dans « Fable à Venise ». Pratt fait-il partie de vos sources d'inspiration ?

Je me suis nourri de ses bandes dessinées. Le mélange de personnages réels et de héros de fiction chez Pratt m'a toujours frappé comme la résonance de son oeuvre avec l'histoire du XX e siècle.

Les « Chemins noirs » sont ceux du fascisme ?

La série explore les marges de l'entre-deux-guerres, le bouillonnement intellectuel, artistique, ésotérique de cette époque, en suivant quatre copains qui sortent de la guerre et qui vont faire des choix différents. Mes « Chemins noirs » sont ceux de Louis Aragon. Ils font référence à l'obscurité plutôt qu'au fascisme. Et puis les têtes brûlées des corps francs de Fiume portaient la chemise noire, qui était celle des commandos italiens avant de devenir celle des fascistes...

Vous avez trouvé de la poésie dans le désordre de cette époque ?

Il y avait du rêve, de l'utopie, du désir... un vrai climat de révolution poétique. Tout pouvait arriver. On faisait la fête tous les jours à Fiume. Mais les bandits ont fini par mettre la ville en coupe réglée et le désordre a mal tourné.

Infos : 02-503.35.52 et www.brusel.com

 

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