GUILLAUME SOREL A PROPOS D'HOTEL PARTICULIER

Il était une fois une jeune femme qui se suicide dans son appartement… une fin ? Non, le début de son histoire car elle va hanter l’immeuble qu’elle a habité et, avec la complicité d’un chat, elle va rencontrer tous ses habitants : petite fille mystérieusement disparue, amours illégitimes, bibliophile érotomane, vieille écorcheuse de chats. Et ce peintre sans le sou pour lequel notre fantôme ressent une attirance certaine…
 
Il était une fois plutôt que de nos jours tant cet album semble intemporel, l’action pouvant se situer hier comme il y a 50 ans… Guillaume Sorel abandonne les atmosphères sombres et angoissantes de ses premiers albums pour une histoire tout en justesse, en délicatesse, couvrant les pages d’un dessin qu’on croirait fait à l’aquarelle mais qui est à l’encre de chine noire, évoquant les vieilles photos délavées. Son lavis fait penser à un Hermann qui après ses séries s’est mis à faire ses one-shot de grande qualité, le même graphisme plein de lumière et de légèreté qui privilégie le blanc. Seul aux commandes, l’auteur fait évoluer son personnage selon son gré, avec lenteur, s’attardant sur tel et tel personnage, développant à l’envi et nous entraînant dans une histoire finalement très triste mais prenante qui aura une fin… heureuse. Guillaume Sorel, grand amateur de littérature fantastique, lui a déjà rendu hommage mais du côté gothique… Ici il a la retenue d’un immense auteur belge : Thomas Owen. Il indique même - par quelques cases montrant une bibliothèque - quels ouvrages le lecteur attentif pourrait parcourir pour retrouver ses sources d’inspiration…
Une belle œuvre qui prouve que l’auteur, après avoir puisé dans les ténèbres a pris goût à la lumière…

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Je suis plus porté sur le fantastique européen, ceux que je lisais dans les « Marabout » et « Néo », des Autrichiens, des Allemands, des Irlandais mais aussi des Belges comme Jean Ray, Thomas Owen… Thomas Owen m’est indispensable puisque c’est l’origine, la base de mon projet, c’est mon auteur favori. Hôtel particulier est une référence à Hôtel meublé, une de mes inspirations… Il y a quelques années j’ai fait un album qui s’appelait «  Mort à outrance » où je citais des extraits des « Maisons suspectes ».

J’ai construit « Hôtel particulier » petit à petit avec des tas d’histoires que j’écrivais dans des coins, au fil des années et en y allant plus franco, j’aurais pu en faire un livre érotique, si pas porno, avec ces personnages féminins comme Salomé mais finalement mais cela s’est réduit à quelques scènes par-ci par-là.

C’est une histoire intemporelle, je ne voulais pas la situer trop précisément, on y voit très peu de véhicules et ceux qu’on voit sont plutôt anciens, j’ai évité de mettre des antennes sur les toits…

Dans la bibliothèque du collectionneur de livres érotiques et fantastiques, il y a des tonnes de références, comme du Lewis Carroll. En fait j’ai passé une semaine dans ma propre bibliothèque à chercher tous les bouquins qui pouvaient avoir joué un rôle dans le récit… Certaines références sont évidentes par rapport au propos, d’autres sont là uniquement pour le plaisir de les citer.

L’album est en monochrome pour lui donner ce côté intemporel, c’est la première fois que je montre mes planches au lavis parce que, depuis 1500 planches faites, je les colorie par-dessus.

Je n’ai pas improvisé ce récit, tout était écrit et cela m’a pris plusieurs années, souvent je repartais de zéro et je reconstruisais. Il y a eu 4 versions différentes et tout à été défini dans la dernière version. A partir de la troisième version, l’éditrice a soumis ses critiques et j’ai corrigé à partir de là. D’habitude je suis assez pénible sur les critiques mais elles étaient pertinentes. Comme elle s’intéressait vraiment à ce que je voulais dire, cela a été un plaisir…

Je suis difficile avec moi-même et avec mon travail. Quand un bouquin est raté c’est vraiment à cause de moi, puisque je n’accepte des conseils de personne.

En finalité cet Hôtel particulier correspond à ce que je voulais faire…

Mes références graphiques sont très nombreuses, ce sont des couches, des strates, cela s’enrichit, cela fait une sauce qui devient originale. J’aime Andréas mais je ne crois pas que cela se voit dans mes planches, mais l’important est que j’ai digéré son travail. Au départ, venant de la peinture je travaillais sur des très grandes planches et me faisais régulièrement engueuler parce qu’elles ne passaient pas au scanner. J’avais besoin de faire des grands gestes quand je dessinais, comme en peinture, mais mes formats sont plus réduits à présent. Mes planches, je les conçois comme une composition de tableau… Si on perd la composition cela tue une BD… Evitez donc de les lire sur des supports électroniques, trop petit !

J’ai commencé dans le bâtiment, en tant que dessinateur dans le génie civil et puis j’ai eu une expérience professionnelle et j’ai réussi à reprendre des études graphiques où j’ai appris pleins de choses. Puis j’ai fait les Beaux-arts à Paris. J’y ai appris ce qu’était un vrai fainéant, une école où on se branle la nouille, j’ai fréquenté un ramassis de faignasses assez exceptionnel. Les deux profs qui étaient sensés me soutenir savaient que je faisais de la BD, je commençais à faire de l’illu pour des magazines de jeu. Le jour de mon diplôme, j’ai présenté des grands travaux de dessins et de peinture et le jury m’a dit que j’avais un côté Daumier et aussi un côté BD. Je leur ai dit que cela tombait bien car je faisais de la BD et ils m’ont demandé de la montrer ma BD. J’avais pris mon carton à dessin. J’ai eu mon diplôme aux Beaux-arts grâce à la BD, excepté que mes profs ont voté contre moi !

  Hôtel Particulier - Guillaume Sorel (Casterman)

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