INTERVIEW DE DIDIER ALCANTE POUR XIII MYSTERY COLONEL AMOS

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Dans quelques jours paraîtra un nouvel opus de XIII Mystery, en attendant le nouveau XIII signe Jigounov/Sente. Didier Alcante (au scénario) et François Boucq (au dessin) nous dévoileront le lourd passé du "Colonel Amos", qui fut l'adversaire de ce sacré numéro avant de devenir son allié.
L'occasion rêvée pour poser quelques questions à Didier Alcante :

 

Qu’avez-vous aimé dans XIII ? Quel impact a eue la série sur vous ?

Le premier album de XIII est paru en septembre 1984. A l’époque, j’avais 13 ans et j’avais découvert cette série en prépublication dans Spirou. Ca a été un véritable coup de foudre. Cette histoire était passionnante, palpitante, très adulte. Il y avait un rythme incroyable pour une BD, des rebondissements, du mystère, de l’action… La série a eu un impact immédiat et énorme sur moi. A l’époque, il n’y avait pas encore les DVD, les séries télé américaines ; XIII a représenté pour moi comme pour des dizaines de milliers de lecteurs l’équivalent de séries télé récentes telles que « 24h chrono » ou « prison break ». Une histoire pour laquelle on n’a qu’une seule envie : connaître la suite ! Donc, en tant que lecteur, elle m’a procuré un énorme plaisir. Et en tant que scénariste, elle a certainement contribué à ma vocation, comme quasi toutes les séries de Jean Van Hamme d’ailleurs (Thorgal, Largo Winch,…). Aujourd’hui encore il m’arrive régulièrement de me replonger dans ses albums et de prendre une leçon d’efficacité narrative !

Vous n’avez pas l’impression qu’on a fait des épisodes de trop ou inutiles à la série ?

XIII a commencé avec l’assassinat du Président US, et une mystérieuse conspiration. La question principale était : « qui est le n°1 et comment XIII va-t-il pouvoir s’en sortir ? ». Partant de là, on aurait pu arrêter la série à l’album n°8 (« treize contre un ») étant donné qu’on avait les réponses à ces deux questions. Mais Jean Van Hamme a su selon moi très bien rebondir en approfondissant alors le passé de son personnage, et en insistant sur le mystère de son identité. Pour moi les albums 9 à 13 restent d’excellente facture. Par après, la série a perdu de l’intensité parce qu’on se retrouve finalement à explorer des choses un peu secondaires par rapport aux enjeux de départ, c’est ce qui arrive à quasiment toutes les séries au long cours. A un moment donné, Jean Van Hamme a estimé qu’il avait fait le tour du personnage et de la série, et a décidé d’arrêter, ce qui est tout à son honneur ! Mais arrêter un tel succès n’est jamais aisé pour un éditeur. Et puis les lecteurs en redemandent ;-). Ce sera donc aux repreneurs de relever le défi.

Pourquoi avoir choisi le personnage du colonel Amos ? Et d’abord, vous a-t-on laissé le choix ?

Oui, oui, j’ai eu le choix J. Jean Van Hamme m’a contacté en décembre 2006 pour participer à cette aventure. A cette époque, seul Xavier Dorisson travaillait déjà sur un album de XIII mystery ; il avait le personnage de la Mangouste, et j’étais donc libre de choisir n’importe quel autre personnage de la série, à l’exception de XIII lui-même, de Jones, de Carrington et de Jessica que Jean Van Hamme considérait comme déjà suffisamment exploité (même si Yann, le coquin, a quand même réussi par la suite à travailler sur Jones).

J’ai choisi le Colonel Amos pour plusieurs raisons : c’est un personnage « mythique » de la série, dans le sens où il était présent dès le premier album. C’est aussi un personnage assez âgé, donc il a forcément un grand vécu, mais ce passé n’avait pas été dévoilé dans la série et il restait donc de la liberté à ce niveau là. C’est enfin un personnage ambigu : il est chétif physiquement (vieux, manchot, avec des lunettes) mais il a beaucoup de charisme et d’autorité. De pouvoir aussi vu qu’il dirige une section du FBI. Au début de la série, c’est un ennemi de XIII, il le traque sans pitié. Mais ensuite, il se transforme en allié. J’aimais bien cette ambigüité et j’ai d’ailleurs tenté de la conserver dans mon histoire.

Vous avez choisi Boucq comme dessinateur. Pourquoi lui ?

Avec Yves Schlirf (l’éditeur) et Jean Van Hamme, nous avions établi une liste de dessinateurs que nous désirions pour ce projet. François Boucq était en tête de cette liste. Nous nous sommes adressés à lui, et il a tout de suite dit oui car il avait été emballé par mon scénario. Donc nous avons trouvé le dessinateur très rapidement ! Mais par contre, il nous a également dit « …mais ce ne sera pas pour tout de suite ! » car il devait d’abord terminer d’autres engagements (le Janitor, Bouncer). C’est pour cela qu’il y a eu un décalage inhabituel de 4 ans entre le moment où j’ai terminé mon scénario, et la parution de l’album. Mais quand je vois le résultat, on a vraiment eu raison d’attendre !
Boucq est un surdoué du dessin. On peut s’en rendre compte en lisant ses albums, mais c’est encore plus impressionnant quand on le voit travailler. On peut lui montrer une photo de n’importe quel objet ou décor, il parvient ensuite à le reproduire parfaitement et sous un autre angle ! Il travaille aussi à une vitesse impressionnante, et ses planches sont ultra-lisibles. Car chez lui, tout mais absolument tout participe à cette lisibilité ; son cadrage et son angle de vue bien sûr, mais aussi (et c’est beaucoup plus rare) la forme de ses bulles et même des lettres dans les dialogues !
Ce qui est incroyable chez lui, c’est que son dessin est à la fois super réaliste et figuratif ! Si vous regardez la manière dont il dessine les arbres ou les voitures par exemple, c’est précis et réaliste mais ce n’est pas « que » ça, ce n’est pas comme s’il avait froidement décalqué une photo, non il leur insuffle à chaque fois de l’énergie et de la vie ! 
Et puis, il est aussi à l’aise dans les scènes d’action (car il a le sens du grand spectacle, et celui du mouvement) que dans les scènes plus intimes car ses expressions de visage et du regard sont toujours justes.

En le choisissant n’aviez vous pas quelque crainte que votre « alliance provisoire » ne fonctionne pas ? Vous vous connaissiez déjà ?

Je n’avais jamais travaillé avec lui, mais ça c’est le principe de « XIII mystery », il faut former des couples d’auteurs qui n’ont jamais travaillé ensemble.
J’étais très enthousiaste à l’idée de travailler avec François Boucq, mais par contre j’ai quand même stressé car on m’a répété souvent qu’il était connu pour « s’approprier » un scénario. Or ici c’aurait été risqué car le scénario d’Amos est un thriller ; si on modifie un rouage, cela peut avoir de grosses conséquences. Et puis j’avais tellement travaillé dessus que j’avais vraiment envie de le voir prendre vie tel que je l’avais imaginé. Mais finalement tout s’est très bien passé, François a respecté mon scénario à la lettre, je dirais à 98% J et les deux pourcents qu’il a modifiés sont meilleurs, donc vraiment nickel J.

Personne n’ignore que vous bossez avec Jean Van Hamme, la crème de la crème des scénaristes, est-ce qu’il vous a apporté son expérience ?

Oui, il a suivi de très près l’écriture du scénario, à toutes ses étapes, le lisant et le relisant, et me donnant des avis, des conseils… L’écriture s’est étalée sur six mois et nous avons échangé quantité de mails et nous sommes vus fréquemment (habitant tous les deux à Bruxelles, c’était facile).

Et quand on a déjà une expérience, un background comme la vôtre, est-ce que vous acceptez facilement  certaines « corrections » de la part d’un aîné comme JVH ?

D’abord il faut rappeler que j’ai été contacté par Jean, pour ce projet, en décembre 2006, et que mes premiers albums étaient sortis en janvier 2005, soit moins de deux ans auparavant ! On ne peut donc pas vraiment dire qu’à l’époque j’avais énormément d’expérience J
Ensuite, Jean a vraiment joué le rôle de mentor. Il ne m’a jamais demandé de changer telle ou telle chose simplement parce que ça ne lui plaisait pas, mais a plutôt attiré mon attention sur des choses qui fonctionnaient moins bien. Ce n’était pas des « ordres de changements » mais des « conseils » !
Enfin, honnêtement, il faudrait vraiment être un crétin pour ne pas écouter des conseils de scénario de Jean, vu son background ! Pour faire un parallèle, je suis des cours de tennis ; si Borg vient me dire que mon coup droit n’est pas parfait et que je pourrais l’améliorer en changeant ma prise de raquette, je vais évidemment noter attentivement ce qu’il dit et essayer de l’appliquer plutôt que de me vexer ;-).

A présent que le feuilleton RANI est passé à la télévision – et il était d’excellente facture et fort plaisant à voir – pensez-vous que le public fera encore l’effort de suivre la série en BD ?
Oui, car globalement ce sont des publics différents qui ont regardé la série à la télé et qui achètent les BD.

Encore, suite au passage télé, ne serez-vous pas tenté de « recopier » les personnages joués par les acteurs, les décors ? Ne vous sentez-vous pas coincé par l’histoire ?
Non, pas du tout, du moins en ce qui concerne la première partie de la question, car Francis avait commencé la BD avant le tournage ; il avait donc déjà donné leur apparence aux personnages.
Pour l’histoire, par contre, étant donné qu’il s’agit d’une adaptation du synopsis de Jean Van Hamme, elle reste forcément très semblable. Mais pas totalement identique.
 
Est-ce facile de manier plusieurs séries de front et d’en plus, y intercaler des one-shot ?

Je n’ai pas encore énormément de séries en cours, donc pour l’instant ça reste parfaitement gérable. Et puis je finis toujours un album avant de commencer à travailler sur le suivant, je préfère cette méthode, plutôt que de travailler en parallèle sur plusieurs histoires différentes ; là je risquerais plus de m’embrouiller…

Comment travaillez-vous, en tant que scénariste ? vous vous imposez une certaine discipline, genre une idée ou 10 pages par jour ?

J’essaye de me donner une certaine discipline en termes d’horaires de travail, mais on ne sait jamais ce que va être notre productivité. Parfois on a plein d’idées, parfois aucune. 10 pages par jour, ça c’est quand ça va très très bien, la moyenne est plus basse ;-).


 

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