PRADO ET ARDALEN OU LA REALITE ALTERNATIVE

C’est une fiction mais en même temps je ne suis pas convaincu que la création se fait à partir de rien, que derrière il y a une expérience… Mais cette histoire est une fiction, c’est pour cela que les documents insérés dans les pages sont des documents inventés. Je voulais rester honnête avec le lecteur, c’est une fiction, du réalisme magique, pas du fantastique, c’est une façon alternative de voir, d’interpréter une réalité mais le lecteur doit rester entre les deux pour qu’il comprenne qu’il ne s’agit pas d’une histoire fantastique mais d’une réalité alternative. Pour moi c’était compliqué de constamment rester sur le bon « point de cuisson », louvoyer entre les deux mondes.
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Fidel même est un gardien de la porte de sa maison qui est une frontière ; le jour c’est une maison réelle et quand il reste tout seul, il va de ‘l’autre côté’. Les éléments visuels comme les poissons qui passent sont des codes pour le lecteur pour faire savoir qu’il bascule dans un autre univers, celui bercé par ses lectures d’enfance mêlé aux souvenirs d’autres... Il a plus de souvenirs qu’il n’est capable de gérer. Fidel a quelqu’un qui l’écoute (Sabela) et il est persuadé de raconter la vérité.

Nous aussi, nous travaillons nos souvenirs pour les ajuster à la réalité. Pendant le processus de construction de l’histoire, je parlais avec mes amis de la mémoire et des souvenirs. Par exemple avec un divorce, un couple a partagé des expériences ensemble et soudainement tu as deux versions de la même vie complètement différentes, même les voyages et les vacances, les mêmes souvenirs avec des nuances et conséquences différentes.

C’est vrai que ce phénomène de transmission de mémoire est métaphorique, poétique, c’est le vent qui porte les souvenirs mais dans la réalité la transmission est très commune… Combien de souvenirs sont des expériences personnelles ou des choses que nous avons vues dans des films ou entendues de parents ?

Je ne pourrai assuré que mes souvenirs sont tous des expériences personnelles. J’ai eu une expérience très significative : j’ai été convaincu pendant des années d’avoir rencontré une jeune fille vers l’âge de quinze ans. Il y a une dizaine d’années, j’ai rangé mon atelier et j’ai trouvé un petit dossier avec des esquisses… Ce n’était pas un souvenir mais un morceau d’une histoire que j’avais écrite !

Sans cela je serais resté toute ma vie convaincu d’avoir rencontré cette jeune fille à quinze ans !

La mémoire est inévitablement un exercice de solitude, nous avons besoin d’avoir une confiance aveugle car si nous hésitons… nous savons que la mémoire est menteuse et fragile…

Pour un New-yorkais ce serait difficile de comprendre la situation de Fidel, de ce village isolé, plongé dans l’isolement… Mais pour nous européens, c’est plus facile à concevoir, ce petit village avec des relations étroites.

J’ai choisi le nom de Fidel car étymologiquement en latin cela veut dire : « qui dit la vérité ». Oui, c’est paradoxal. Il y a un processus d’échange entre Sabela et lui qui donne à Fidel du temps pour écouter et le stimule pour qu’il cherche dans sa mémoire. Il y a l’idée de la transmission de l’héritage.

Pendant des années j’ai fait des satires sociales, des histoires intimistes, j’ai démontré ce dont je suis capable, comme auteur ce qui m’intéresse plus à présent c’est la transmission des émotions, je veux partager des émotions avec mes lecteurs, je veux que le lecteur ait le même sentiment que moi. Je préfère partager des sentiments que susciter de l’admiration. Je suis satisfait de rencontrer des gens qui ont été touché par mon histoire, qui me racontent leur histoire…

Je ne comprends pas l’art sans émotion… A l’heure actuelle, nous avons trouvé une liberté individuelle magnifique. Il faut faire des choses avec cette liberté, n’importe quoi, étonner. Dans les années 70, c’était facile mais à présent en 2013 le monde à trop de problèmes. La plus grande conquête du 20 ème siècle a été de mettre l’idée de la réflexion dans l’art…

J’avais besoin que le lecteur s’identifie avec les personnages que j’ai créés et dans mon besoin d’humaniser mes personnages, j’ai utilisé des éléments réels pour montrer au lecteur que c’est une histoire de vie, de perception…

Fidel est persuadé de parler avec des amis pas des fantômes…Les baleines, c’est une expérience à moi… Derrière ma maison qui se trouve dans la campagne, à trois kilomètres de la mer, il y a un bois d’eucalyptus et une nuit d’hiver je me suis rendu compte qu’il me semblait entendre la mer alors qu’elle est loin. Je suis sorti de la maison et j’ai vu les eucalyptus bouger comme des algues, comme des baleines… Je suis resté à les attendre mais elles ne sont jamais sorties. C’est « magiquement » cohérent, c’est une perception différente de la réalité. Je ne connaissais pas les images faites par Frank Pé concernant les baleines, mais une fois mon histoire publiée j’ai reçu via internet pleins d’images d’autres peintres et d’illustrateurs au sujet des baleines qu’ils voyaient. Comme une idée partagée par l’humanité !

Voir la chronique de Blackbolt


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